Les extraterrestres oubliés sur Terre


Perdus ?
Véritable bateau spatial laissé à la dérive, le vaisseau du film District 9 nous présente une civilisation égarée et isolée sur Terre. L’extraterrestre E.T. a quant à lui été laissé sur notre planète.
Cette situation est-elle plausible ? Qu’en est-il de nos connaissances scientifiques par rapport à un tel contexte ? Avec ces deux exemples, on peut se poser des milliers de questions !
Un long chemin
L’étoile la plus proche de la Terre est notre Soleil, évidemment ! Si on cherche un autre soleil avec des planètes en orbite de celui-ci, on trouve Proxima Centauri, une naine rouge située dans le système stellaire Alpha Centauri à 4,367 années-lumière.
La vitesse de la lumière qui est de 299 792 458 m / s (1,08 milliard de km/h) nous paraît vertigineuse. C’est pourtant incroyablement lent au regard de l’immensité de notre Univers. C’est pourquoi il faut plus de 4 ans pour que la lumière d’Alpha Centauri parvienne jusqu’à notre Terre.
En comparaison, la sonde la plus rapide de l’histoire de l’humanité est Parker Solar Probe, qui voyage actuellement à 635 266 km/h soit 176 463 m/s. Si on lançait cette sonde en direction d’Alpha Centauri, il faudrait 7434 ans pour qu’elle atteigne sa destination…
Il y a 7500 ans, l’humanité n’avait même pas encore inventé l’écriture (qui date de 5500 ans). C’était la période du Néolithique (-9000 à -3000 ans avant J.C.), caractérisée par le développement de l’agriculture, de l’élevage, la fabrication de poteries, et la construction de villages permanents. Se projeter 7434 ans dans le futur, c’est donc se projeter dans un voyage plus long que tout ce qu’il est possible d’imaginer. Un vaisseau ayant la même vitesse que la sonde et réussissant à faire ce trajet serait forcément une arche sur laquelle des milliers de gens devraient survivre pendant 300 générations. En 7434 ans, il y aurait de nouvelles découvertes, de nouvelles cultures et plusieurs civilisations se succéderaient avant d’arriver à Alpha Centauri.
Arrivé là-bas, il faudrait ensuite freiner autour du soleil ou des planètes (peut-être pendant une décennie) afin de trouver une vitesse permettant l’injection en orbite planétaire. Tout cela en partant du principe qu’une planète (Proxima Centauri b ou Proxima Centauri c) peut accueillir des colons venus d’un autre système solaire.
Si la civilisation humaine existe toujours sur la Terre dans seulement 3500 ans par exemple, il y a fort à parier qu’elle aura développé des vaisseaux capables d’aller plus vite que la sonde Parker Solar Probe. Le vaisseau-monde ne serait alors qu’à mi-chemin de son trajet et pourrait se faire rattraper puis dépasser par une nouvelle expédition bien plus rapide. Cet ancien vaisseau se ferait-il intercepter ? Serait-il laissé de côté comme une expérience primitive ? Serait-il resté en contact avec la Terre pendant tout ce temps ? Serait-il détruit car considéré comme une menace ? Serait-il capable de se défendre ou aurait-il déjà accéléré lui aussi grâce à ses propres découvertes ? Il existe autant de réponses que de scénarios possibles…
Le Santa María de Christophe COLOMB n’avait que l’océan Atlantique à traverser en 1492 : il lui a fallu 36 jours.



L’expédition d’une civilisation
Ce genre d’expédition prendrait une ampleur bien plus importante que les explorations de Christophe COLOMB, Vasco de GAMA, Fernand de MAGELLAN, Amerigo VESPUCCI ou Zheng HE. Il faudrait les ressources combinées d’une planète entière pour la bonne préparation d’une flotte de vaisseaux.
Ce projet fort coûteux en ressources, en temps et en matière grise serait la marque d’une civilisation qui cherche à essaimer à travers les étoiles. Que ce soit en terme technique (architecture, principe d’une biosphère) ou en termes culturels (quels œuvres et quelle mémoire de l’humanité embarquer à bord ?), toutes les professions approcheraient de près ou de loin ce projet pharaonique et multigénérationnel.
Il faudrait probablement des décennies (peut-être un siècle) pour obtenir une flotte de vaisseaux prête à faire le grand voyage sans retour. Les passagers seraient alors choisis (par compétence, tirage au sort ou toute autre forme de sélection) sans doute parmi des volontaires pour un voyage de 7434 ans. Existera-t-il des caissons d’hibernation ou bien faudra-t-il vivre et mourir sans jamais connaître le lieu d’arrivée ? Si ces fameux caissons existaient, y aurait-il des tours de garde ou des sélections définitives ? Cette question installe encore un peu plus ce voyage dans la fiction…
Esprit de corps ?
Dans les forces armées, on trouve toutes sortes de formules sur le soutien mutuel, la camaraderie et l’honneur. « On ne laisse personne derrière » (« no one left behind ») dans l’armée américaine et « l’esprit de corps » dans la légion étrangère reflètent bien une vision d’une partie de l’humanité : on n’abandonne pas les copains.
Cet état d’esprit viendrait s’ajouter à un contexte – la flotte spatiale – dans lequel la notion de coût pour l’humanité est déjà particulièrement élevé :
- il a fallu des décennies (1 siècle ?) pour construire une flotte de vaisseaux interstellaires. Il a
probablement été nécessaire de faire des choix et de laisser des projets scientifiques de côté. Ce temps consommé est donc un investissement particulièrement lourd, même si des retombés technologiques et économiques sont possibles pendant la construction.
- il a fallu investir des ressources mondiales. Que ce soit en terme de matériaux ou de budget, il a fallu prioriser ce chantier au détriments des autres. Des partenariats ont dû être signés entre entreprises et entre nations. Il s’agit d’un très lourd investissement diplomatique et économique.
- il a fallu des sacrifices humains et sociaux. Des ingénieurs comme des techniciens auront travaillé pendant plusieurs vies sur ce projet unique. De plus, des gens aux profils variés seront eux aussi sélectionnés pour un voyage sans retour. Cette « fuite des cerveaux » accaparés par un projet titanesque pourrait, là encore, pénaliser les projets de l’humanité restée sur Terre.
L’esprit de corps créé pendant des décennies, renforcé par un but commun lors d’un voyage interminable pourrait être la seule chose qui reste à l’arrivée : l’idée de faire partie de la même famille.
Comment est-il possible de simplement oublier des camarades ? Pire : comment est-il possible après autant de sacrifices économiques, matériels et humains d’abandonner l’un des explorateurs ?
C’est pourtant ce qui arrive à E.T. dans son film éponyme. L’explorateur est abandonné à cause de l’arrivée inopinée d’indigènes primitifs (les humains) sur le lieu d’atterrissage du vaisseau d’exploration. Le chef des extraterrestres décide alors de quitter la planète pour ne pas se faire remarquer. La conséquence est donc que l’un de leurs semblables va côtoyer des humains, être capturé, étudié et passer à deux doigts d’une dissection… Finalement celui-ci est ramené par des humains auprès de ses semblables. L’opération discrétion est donc une catastrophe et l’abandon de l’explorateur – bien que provisoire – a bien failli lui coûter la vie.
Est-il imaginable que des voyageurs d’un autre système solaire, ayant sacrifié autant de choses pour parvenir à leur destination, décampent à la première alerte d’autochtones en approche ? La civilisation d’E.T. a parcouru 3 000 000 années lumières pour atteindre la Terre… Qu’y avait-il à craindre au point d’abandonner un membre de leur espèce ? Les enjeux paraissent peu élevés au regard de la perte subie qui obligera d’ailleurs l’équipe à revenir chercher leur camarade. Étrange. Il est possible d’y voir l’illustration d’une peur au détriment de l’esprit de corps ; les extraterrestres ne réagiraient pas forcément comme nous. Mais c’est sans doute une erreur de surinterpréter une situation bien plus basique : ils ont abandonné leur copain. Sans raison, si on regarde le film en prenant du recul. Une faille scénaristique qui légitime la légende des O.V.N.I.s fuyant toujours l’approche des êtres humains.
Dans District 9, les choses sont présentées sous un autre angle. Un vaisseau en piteux état est en vol stationnaire au-dessus de la ville de Johannesburg (Afrique du Sud). Au bout de 3 mois, les humains décident d’entrer à l’intérieur et trouvent des extraterrestres en état de détresse (malnutrition, mauvaise santé, aucun but) ; ils deviendront des « réfugiés » planétaire.
Le principe du vaisseau en panne sur Terre n’est pas une nouveauté, mais le principe d’extraterrestres parqués dans un district illustre justement les problèmes liés à la pauvreté et à la marginalisation d’une partie de la société humaine. C’est une métaphore sociétale.
Quoi qu’il en soit, est-il possible qu’un vaisseau aussi immense, avec une population d’1 million d’habitants, arrive sur une planète dans cet état ? S’agit-il d’un vaisseau-colonie comme celui que l’espèce humaine pourrait envoyer et qui serait arrivé à destination ? S’agit-il d’un vaisseau ayant été contraint de s’arrêter sur Terre ? Lorsqu’on entreprend un tel voyage, n’est-il pas logique de se déplacer en flotte ? Dans ce cas, où est le restant de la flotte ? N’y a-t-il pas de balise de détresse ?
Un vaisseau spatial, comme son nom l’indique, se déplace dans l’espace. Il paraît impensable de construire un tel vaisseau sans avoir de moyens techniques dignes de ce nom : même en mouvement, un vaisseau peut être réparé lors de sorties extravéhiculaires. Dans ce cas, le vaisseau aurait pu être réparé tout au long du voyage. En 2024, la création de pièces détachées est désormais possible grâce aux imprimantes 3D. Une civilisation qui aurait seulement 100 ans d’avance sur la nôtre aurait des outils particulièrement avancés afin de conserver l’intégrité de la flotte spatiale et réparer les avaries lors du voyage. Mais dans District 9, on nous présente les extraterrestres comme des civils à peine autonomes alors qu’ils sont suffisamment ingénieux pour fabriquer des armes qu’ils sont d’ailleurs les seuls à pouvoir utiliser. En revanche, on ne voit pas vraiment le développement d’ingénierie civile au sens large (véhicules, outils du quotidien). Un paradoxe pour une civilisation qui vient des étoiles et qui a dû survivre jusqu’à son arrivée sur Terre.
Un voyage interstellaire, par définition, implique de passer dans une zone vide de l’espace et donc dépourvue de ressources. Dans le cas où un vaisseau serait capable de freiner et d’accélérer comme bon lui semble, il n’aurait aucun intérêt à s’arrêter dans cette zone. Pire, c’est un endroit très dangereux pour une flotte spatiale qui subirait des dégâts. Cela aurait pu expliquer l’état de délabrement du vaisseau de District 9. Néanmoins, c’est omettre le fait qu’une civilisation suffisamment avancée doit et sait anticiper toutes les ressources nécessaires aux réparations d’une telle expédition. Au besoin elle peut même capturer quelques astéroïdes avant son départ, afin d’en extraire les richesses (eau, métaux, etc.) pendant tout le voyage. Il existe déjà de coûteux projets de capture d’astéroïdes, mais dans le cas d’une flotte spatiale voyageant pendant 7434 ans, ce ne serait là qu’un détail dans la liste des préparatifs.
L’histoire de District 9 est très immersive et exotique. Mais lorsqu’on prend un peu de recul, on peut se demander comment est-il possible qu’une telle épave se retrouve là et comment une population si nombreuse et peu qualifiée a-t-elle pu survivre à un voyage probablement long. La seule explication serait justement un voyage court (quelques années ou décennies) grâce à une technologie inconnue et la mentalité des extraterrestres aurait été de lancer ce vaisseau un peu comme une bouteille à la mer.
Septième art
Qu’on aime ces films ou pas, ils ont le mérite de poser des questions sous-jacentes intéressantes. Même s’il est probable que la réponse commune soit simplement de l’ordre de la faille scénaristique du « septième art » qu’est le cinéma…